Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/50

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faisait assez connaître de quelles énormités il deviendrait capable en grandissant. Alfred de Musset en observait les débordements avec curiosité. « Voilà donc, disait-il, un des signes du temps présent ? Lorsque Racine et Molière écrivaient pour Louis XIV et sa cour, ils étaient bien forcés de regarder au-dessus d’eux ; ils avaient à contenter un monde exigeant, trop raffiné peut-être, souvent frivole ou dédaigneux ; mais, au moins, la difficulté de lui plaire tenait éveillé l’artiste ou l’écrivain et l’engageait à bien faire. Aujourd’hui, il ne s’agit que d’amuser une foule ignorante qui ne se connaît à rien, ne se mêle point de juger et ne sait pas sa langue. À quoi bon lui parler français ? Elle ne l’entendrait pas ; quant à moi, je n’ai rien à lui dire. »

Enfin, à toutes les raisons qu’on lui donnait de rompre le silence, il répondait par des raisons meilleures de le garder. Mais quand la Muse venait d’elle-même le trouver, il la recevait bien. Ainsi, en lisant la chanson insolente du poète Becker, il ne résista pas au désir de relever avec verdeur le défi lancé à la France. En deux heures, il improvisa le Rhin allemand. Une autre fois, fatigué de questions sur les causes de ce qu’on appelait sa paresse, il eut un mouvement de colère poétique digne de Mathurin Régnier, et en voulant se justifier il écrivit une satire.

Un malheur public vint changer sa mauvaise humeur et ses ennuis en découragement. Alfred de Musset avait une affection sincère pour le duc d’Orléans. Il avait fondé de grandes espérances sur le règne futur de ce jeune prince, non dans l’intérêt de sa fortune, à laquelle il ne pensait point, mais dans celui des arts et des lettres. En maintes occasions, son ancien condisciple lui avait dit que, s’il ne