Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies I.djvu/21

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Razetta.

Oh ! ma vie !

Il reçoit la croix ; elle se retire.
Razetta, seul.

Ainsi je l’ai perdue. — Razetta, il fut un temps où cette gondole, éclairée d’un falot de mille couleurs, ne portait sur cette mer indolente que le plus insouciant de ses fils. Les plaisirs des jeunes gens, la passion furieuse du jeu t’absorbaient ; tu étais gai, libre, heureux ; on le disait, du moins ; l’inconstance, cette sœur de la folie, était maîtresse de tes actions ; quitter une femme te coûtait quelques larmes ; en être quitté te coûtait un sourire. Où en es-tu arrivé ?

Mer profonde, heureusement il t’est facile d’éteindre une étincelle. Pauvre petite croix, qui avais sans doute été placée dans une fête, ou pour un jour de naissance, sur le sein tranquille d’un enfant ; qu’un vieux père avait accompagnée de sa bénédiction ; qui, au chevet d’un lit, avais veillé dans le silence des nuits sur l’innocence ; sur qui, peut-être, une bouche adorée se posa plus d’une fois pendant la prière du soir ; tu ne resteras pas longtemps entre mes mains.

La belle part de ta destinée est accomplie ; je t’emporte, et les pêcheurs de cette rive te trouveront rouillée sur mon cœur.

Laurette ! Laurette ! Ah ! je me sens plus lâche qu’une femme. Mon désespoir me tue ; il faut que je pleure.

On entend le son d’une symphonie sur l’eau. Une gondole chargée de femmes et de musiciens passe.