Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies I.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous faire imprimer », il n’en est pas moins vrai que l’homme, et surtout le jeune homme qui, se sentant battre le cœur au nom de gloire, de publicité, d’immortalité, etc., pris malgré lui par ce je ne sais quoi qui cherche la fumée, et poussé par une main invisible à répandre sa pensée hors de lui-même ; que ce jeune homme, dis-je, qui, pour obéir à son ambition, prend une plume et s’enferme, au lieu de prendre son chapeau et de courir les rues, fait par cela même une preuve de noblesse, je dirai même de probité, en tentant d’arriver à l’estime des hommes et au développement de ses facultés par un chemin solitaire et âpre, au lieu de s’aller mettre, comme une bête de somme, à la queue de ce troupeau servile qui encombre les antichambres, les places publiques et jusqu’aux carrefours. Quelque mépris, quelque disgrâce qu’il puisse encourir, il n’en est pas moins vrai que l’artiste pauvre et ignoré vaut souvent mieux que les conquérants du monde, et qu’il y a de plus nobles cœurs sous les mansardes où l’on ne trouve que trois chaises, un lit, une table et une grisette, que dans les gémonies dorées et les abreuvoirs de l’ambition domestique.

Si le besoin d’argent fait travailler pour vivre, il me semble que le triste spectacle du talent aux prises avec la faim doit tirer des larmes des yeux les plus secs.

Si enfin un artiste obéit au mobile qu’on peut appeler le besoin naturel du travail, peut-être mérite-t-il plus que jamais l’indulgence : il n’obéit alors ni à l’ambition ni à la misère, mais il obéit à son cœur ; on pourrait croire qu’il obéit à Dieu. Qui peut savoir la raison pour laquelle un homme qui n’a ni faux orgueil ni besoin d’argent se décide à écrire ? Voltaire a dit, je crois, « qu’un livre était une lettre adressée aux amis inconnus que l’on a sur la terre ». Quant à moi, qui ai eu de tout temps une grande admira-