Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies II.djvu/122

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fait. Maintenant, sais-tu ce qui m’arrive, et ce dont je veux t’avertir ?

Philippe.

Tu es notre Brutus si tu dis vrai.

Lorenzo.

Je me suis cru un Brutus, mon pauvre Philippe ; je me suis souvenu du bâton d’or couvert d’écorce. Maintenant je connais les hommes et je te conseille de ne pas t’en mêler.

Philippe.

Pourquoi ?

Lorenzo.

Ah ! vous avez vécu tout seul, Philippe. Pareil à un fanal éclatant, vous êtes resté immobile au bord de l’océan des hommes, et vous avez regardé dans les eaux la réflexion de votre propre lumière ; du fond de votre solitude, vous trouviez l’océan magnifique sous le dais splendide des cieux ; vous ne comptiez pas chaque flot, vous ne jetiez pas la sonde ; vous étiez plein de confiance dans l’ouvrage de Dieu. Mais moi, pendant ce temps-là, j’ai plongé ; je me suis enfoncé dans cette mer houleuse de la vie ; j’en ai parcouru toutes les profondeurs, couvert de ma cloche de verre ; tandis que vous admiriez la surface, j’ai vu les débris des naufrages, les ossements et les Léviathans.

Philippe.

Ta tristesse me fend le cœur.