Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/164

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plation devant la nature. Mes croisées donnaient sur une vallée profonde, et au milieu s’élevait le clocher du village ; tout était pauvre et tranquille. L’aspect du printemps, des fleurs et des feuilles naissantes ne produisait pas sur moi cet effet sinistre dont parlent les poètes, qui trouvent dans les contrastes de la vie une raillerie de la mort. Je crois que cette idée frivole, si elle n’est pas une simple antithèse faite à plaisir, n’appartient encore en réalité qu’aux cœurs qui sentent à demi. Le joueur qui sort au point du jour, les yeux ardents, les mains vides, peut se sentir en guerre avec la nature, comme le flambeau d’une veillée hideuse ; mais que peuvent dire les feuilles qui poussent à l’enfant qui pleure son père ? les larmes de ses yeux sont sœurs de la rosée ; les feuilles des saules sont elles-mêmes des larmes. C’est en regardant le ciel, les bois et les prairies que je compris ce que c’est que les hommes qui s’imaginent de se consoler.

Larive n’avait pas plus envie de me consoler que de se consoler lui-même. Au moment de la mort de mon père, il avait eu peur que je ne vendisse la maison et que je ne l’emmenasse à Paris. Je ne sais s’il était au fait de ma vie passée, mais il m’avait témoigné d’abord de l’inquiétude, et quand il me vit m’installer, son premier regard m’alla jusqu’au cœur. C’était un jour que j’avais fait apporter de Paris un grand portrait de mon père ; je l’avais fait mettre dans la salle à manger. Lorsque Larive entra pour servir, il le vit ; il