Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/177

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— Pourquoi ?

— Parce que vous me paraissez bien jeune.

— Il arrive quelquefois, lui dis-je, qu’on soit plus vieux que son visage.

— Oui, répondit-elle en riant, et il arrive aussi qu’on soit plus jeune que ses paroles.

— Ne croyez-vous pas à l’expérience ?

— Je sais que c’est le nom que la plupart des hommes donnent à leurs folies et à leurs chagrins ; qu’en peut-on savoir à votre âge ?

— Madame, un homme de vingt ans peut avoir plus vécu qu’une femme de trente. La liberté dont les hommes jouissent les mène bien plus vite au fond de toutes choses ; ils courent sans entraves à tout ce qui les attire ; ils essaient de tout. Dès qu’ils espèrent, ils se mettent en marche ; ils vont, ils s’empressent. Arrivés au but, ils se retournent ; l’espérance est restée en route, et le bonheur a manqué de parole.

Comme je parlais ainsi, nous étions au sommet d’une petite colline qui descendait dans la vallée ; madame Pierson, comme invitée par la pente rapide, se mit à sauter légèrement. Sans savoir pourquoi, j’en fis autant qu’elle ; nous nous mîmes à courir sans nous quitter le bras ; l’herbe glissante nous entraînait. Enfin, comme deux oiseaux étourdis, en sautant et en riant, nous nous trouvâmes au bas de la montagne.

— Voyez ! dit madame Pierson, j’étais fatiguée tout à l’heure, maintenant je ne le suis plus. Et voulez-vous