Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/180

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mais seulement jeune et agréable. Sa conversation montrait une éducation achevée ; il n’était rien dont elle ne parlât bien et aisément ; en même temps qu’on l’y voyait naïve, on l’y sentait profonde et riche ; une intelligence vaste et libre y planait doucement sur un cœur simple et sur les habitudes d’une vie retirée. L’hirondelle de mer, qui tournoie dans l’azur des cieux, plane ainsi du haut de la nue sur le brin d’herbe où elle a fait son nid.

Nous parlâmes littérature, musique, et presque politique. Elle était allée l’hiver à Paris ; de temps en temps, elle effleurait le monde ; ce qu’elle en voyait servait de thème, et le reste était deviné.

Mais ce qui la distinguait par-dessus tout, c’était une gaieté qui, sans aller jusqu’à la joie, était inaltérable ; on eût dit qu’elle était née fleur, et que son parfum était la gaieté.

Avec sa pâleur et ses grands yeux noirs, je ne puis dire combien cela frappait, sans compter que de temps en temps, à certains mots, à certains regards, il était clair qu’elle avait souffert et que la vie avait passé par là. Je ne sais quoi vous disait en elle que la douce sérénité de son front n’était pas venue de ce monde, mais qu’elle l’avait reçue de Dieu et qu’elle la lui rapporterait fidèlement, malgré les hommes, sans en rien perdre ; et il y avait des moments où l’on se rappelait la ménagère qui, lorsque le vent souffle, met la main devant son flambeau.