Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/228

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Mais les souffrances que j’avais endurées, le souvenir des perfidies dont j’avais été le témoin, l’affreuse guérison que je m’étais imposée, les discours de mes amis, le monde corrompu que j’avais traversé, les tristes vérités que j’y avais vues, celles que, sans les connaître, j’avais comprises et devinées, par une funeste intelligence, la débauche enfin, le mépris de l’amour, l’abus de tout, voilà ce que j’avais dans le cœur sans m’en douter encore, et au moment où je croyais renaître à l’espérance et à la vie, toutes ces furies engourdies me prenaient à la gorge et me criaient qu’elles étaient là.

Je me baissai et ouvris le livre, puis je le fermai aussitôt et le rejetai sur la table. Brigitte me regardait ; il n’y avait dans ses beaux yeux ni orgueil blessé ni colère ; il n’y avait qu’une tendre inquiétude, comme si j’eusse été malade. — Est-ce que vous croyez que j’ai des secrets ? demanda-t-elle en m’embrassant. — Non, lui dis-je, je ne crois rien, sinon que tu es belle, et que je veux mourir en t’aimant.

Rentré chez moi, comme j’étais en train de dîner, je demandai à Larive : — Qu’est-ce donc que cette madame Pierson ?

Il se retourna tout étonné. — Tu es, lui dis-je, dans le pays depuis nombre d’années ; tu dois la connaître mieux que moi. Que dit-on d’elle ici ? qu’en pense-t-on dans le village ? quelle vie menait-elle avant que je la connusse ? quelles gens voyait-elle ?

— Ma foi ! monsieur, je ne lui ai vu faire que ce