Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/236

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si elle sait tromper ; mais je la rouerai et lui tiendrai tête, et elle saura qui je suis.

— Ma chère, lui dis-je après un long silence, je viens de donner un conseil à un ami qui m’a consulté. C’est un jeune homme assez simple ; il m’écrit qu’il a découvert qu’une femme, qui vient de se donner à lui, a en même temps un autre amant. Il m’a demandé ce qu’il devait faire.

— Que lui avez-vous répondu ?

— Deux questions : Est-elle jolie, et l’aimez-vous ? Si vous l’aimez, oubliez-la ; si elle est jolie et que vous ne l’aimiez pas, gardez-la pour votre plaisir : il sera toujours temps de la quitter si vous n’avez affaire qu’à sa beauté, et autant vaut celle-là qu’une autre.

En m’entendant parler ainsi, Brigitte lâcha l’enfant qu’elle tenait ; elle fut s’asseoir au fond de la chambre. Nous étions sans lumière ; la lune, qui éclairait la place que Brigitte venait de quitter, projetait une ombre profonde sur le sofa où elle était assise. Les mots que j’avais prononcés portaient un sens si dur, si cruel, que j’en étais navré moi-même et que mon cœur s’emplissait d’amertume. L’enfant inquiet appelait Brigitte et s’attristait en nous regardant. Ses cris joyeux, son petit bavardage cessèrent peu à peu ; il s’endormit sur la bergère. Ainsi, tous trois, nous demeurâmes en silence, et un nuage passa sur la lune.

Une servante entra qui vint chercher l’enfant ; on apporta de la lumière. Je me levai, et Brigitte en même