Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/258

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chère Brigitte me demanda ma bouteille ; je l’avais perdue, aussi bien qu’un briquet qui nous servait à un autre usage : c’était à lire les noms des routes écrits sur les poteaux, quand nous nous étions égarés, ce qui arrivait continuellement. Je grimpais alors aux poteaux, et il s’agissait d’allumer le briquet assez à propos pour saisir au passage les lettres à demi effacées : tout cela follement, comme deux enfants que nous étions. Il fallait nous voir dans un carrefour, lorsqu’il y avait à déchiffrer, non pas un poteau, mais cinq ou six, jusqu’à ce que le bon se trouvât. Mais, ce soir-là, tout notre bagage était resté dans l’herbe. — Eh bien ! me dit Brigitte, nous passerons la nuit ici ; aussi bien, je suis fatiguée. Ce rocher est un lit un peu dur ; nous en ferons un avec des feuilles sèches. Asseyons-nous et n’en parlons plus.

La soirée était superbe ; la lune se levait derrière nous ; je la vois encore à ma gauche. Brigitte la regarda longtemps sortir doucement des dentelures noires que les collines boisées dessinaient à l’horizon. À mesure que la clarté de l’astre se dégageait des taillis épais et se répandait dans le ciel, la chanson de Brigitte devenait plus lente et plus mélancolique. Elle s’inclina bientôt, et me jetant ses bras au cou : — Ne crois pas, me dit-elle, que je ne comprenne pas ton cœur, et que je te fasse des reproches de ce que tu me fais souffrir. Ce n’est pas ta faute, mon ami, si tu manques de forces pour oublier ta vie passée ; c’est de bonne foi que tu m’as aimée, et je