Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/261

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qu’elle fut obligée de faire quelque temps après la força de me confier à son tour à mon futur beau-père. Il ne m’appelait jamais autrement que sa fille, et il était si bien connu dans le pays que je devais épouser son fils, qu’on nous laissait tous deux ensemble avec la plus grande liberté.

Ce jeune homme, dont il est inutile de vous dire le nom, avait toujours paru m’aimer. Ce qui était depuis des années une amitié d’enfance devint de l’amour avec le temps. Il commençait, quand nous étions seuls, à me parler du bonheur qui nous attendait ; il me peignait son impatience. J’étais plus jeune que lui d’un an seulement, mais il avait fait dans le voisinage la connaissance d’un homme de mauvaise vie, espèce de chevalier d’industrie dont il avait écouté les conseils. Tandis que je me livrais à ses caresses avec la confiance d’un enfant, il résolut de tromper son père, de nous manquer à tous de parole et de m’abandonner après m’avoir perdue.

Son père nous avait fait venir un matin dans sa chambre, et là, en présence de toute la famille, nous avait annoncé que le jour de notre mariage était fixé. Le soir même de ce jour, il me rencontra au jardin, me parla de son amour avec plus de force que jamais, me dit que, puisque l’époque était décidée, il se regardait comme mon mari, et qu’il l’était devant Dieu depuis sa naissance. Je n’eus d’autre excuse à alléguer que ma jeunesse, mon ignorance et la confiance que j’avais. Je me donnai à lui avant d’être sa femme, et, huit jours après,