Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/263

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que je veux toujours aimer. Que Dieu me donne cette force ! ajouta-t-elle en regardant le ciel. Que Dieu, qui nous voit, qui m’entend, que le Dieu des mères et des amantes me laisse accomplir cette tâche ! Quand je devrais y succomber, quand mon orgueil qui se révolte, mon pauvre cœur qui se brise malgré moi, quand toute ma vie…

Elle n’acheva pas ; ses larmes l’arrêtèrent. Ô Dieu ! je l’ai vue là sur ses genoux, les mains jointes, inclinée sur la pierre ; le vent la faisait vaciller devant moi comme les bruyères qui nous environnaient. Frêle et sublime créature ! elle priait pour son amour. Je la soulevai dans mes bras. — Ô mon unique amie ! m’écriai-je, ô ma maîtresse, ma mère et ma sœur ! demande aussi pour moi que je puisse t’aimer comme tu le mérites ! Demande que je puisse vivre ! que mon cœur se lave dans tes larmes ; qu’il devienne une hostie sans tache, et que nous la partagions devant Dieu !

Nous nous renversâmes sur la pierre. Tout se taisait autour de nous ; au-dessus de nos têtes se déployait le ciel resplendissant d’étoiles. — Le reconnais-tu ? dis-je à Brigitte ; te souviens-tu du premier jour ?

Dieu merci, depuis cette soirée, nous ne sommes jamais retournés à cette roche. C’est un autel qui est resté pur ; c’est un des seuls spectres de ma vie qui soit encore vêtu de blanc lorsqu’il passe devant mes yeux.