Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dement dans tes délires amoureux, à peu près comme les avocats qui sortent les yeux rouges d’un méchant procès qu’ils ont perdu. Tu fais le petit enfant prodigue, tu badines avec la souffrance ; tu trouves du laisser-aller à accomplir à coups d’épingle un meurtre de boudoir. Que diras-tu au Dieu vivant lorsque ton œuvre sera achevée ? Où s’en va la femme qui t’aime ? Où glisses-tu, où tombes-tu, pendant qu’elle s’appuie sur toi ? De quel visage enseveliras-tu un jour ta pâle et misérable amante, comme elle vient d’ensevelir le dernier être qui la protégeait ? Oui, oui, sans aucun doute, tu l’enseveliras ; car ton amour la tue et la consume ; tu l’as vouée à tes furies, et c’est elle qui les apaise. Si tu suis cette femme, elle mourra par toi. Prends garde ! son bon ange hésite, il est venu frapper ce coup dans cette maison pour en chasser une passion fatale et honteuse ; il a inspiré à Brigitte cette pensée de son départ ; il lui donne peut-être en ce moment à l’oreille son dernier avertissement. Ô assassin ! ô bourreau ! prends garde ! il s’agit de vie et de mort.

Ainsi je me parlais à moi-même ; puis je vis sur un coin du sofa une petite robe de guingamp rayé, déjà pliée pour entrer dans la malle. Elle avait été le témoin de l’un des seuls de nos jours heureux. Je la touchai et la soulevai.

— Moi, te quitter ! lui dis-je ; moi, te perdre ! Ô petite robe ! tu veux partir sans moi ?

Non, je ne puis abandonner Brigitte ; dans ce moment,