Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/269

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ce serait une lâcheté. Elle vient de perdre sa tante ; la voilà seule ; elle est en butte aux propos de je ne sais quel ennemi. Ce ne peut être que Mercanson ; il aura sans doute raconté son entretien avec moi sur Dalens, et, me voyant jaloux un jour, il en aura conclu et deviné le reste. Assurément, c’est cette couleuvre qui vient baver sur ma fleur bien-aimée. Il faut d’abord que je l’en punisse, il faut ensuite que je répare le mal que j’ai fait à Brigitte. Insensé que je suis ! je pense à la quitter lorsqu’il faut lui consacrer ma vie, expier mes torts, lui rendre en bonheur, en soins et en amour, ce que j’ai fait couler de larmes de ses yeux ! lorsque je suis son seul appui au monde, son seul ami, sa seule épée ! lorsque je dois la suivre au bout de l’univers, lui faire un abri de mon corps, la consoler de m’avoir aimé et de s’être donnée à moi !

— Brigitte ! m’écriai-je en rentrant dans la chambre où elle était restée, attendez-moi une heure et je reviens.

— Où allez-vous ? demanda-t-elle.

— Attendez-moi, lui dis-je, ne partez pas sans moi. Souvenez-vous des paroles de Ruth : « En quelque lieu que vous alliez, votre peuple sera mon peuple, et votre Dieu sera mon Dieu ; la terre où vous mourrez me verra mourir, et je serai ensevelie où vous le serez. »

Je la quittai précipitamment, et je courus chez Mercanson ; on me dit qu’il était sorti, et j’entrai chez lui pour l’attendre.

Je m’étais assis dans un coin, sur la chaise de cuir