Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/289

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un baptême et m’y couvrir d’un vêtement distinct que rien désormais n’eût pu m’arracher.

J’ai vu le saint Thomas du Titien poser son doigt sur la plaie du Christ et j’ai souvent pensé à lui ; si j’osais comparer l’amour à la foi d’un homme en son Dieu, je pourrais dire que je lui ressemblais. Quel nom porte le sentiment qu’exprime cette tête inquiète, presque doutant encore et adorant déjà ? Il touche la plaie ; le blasphème étonné s’arrête sur ses lèvres ouvertes, où la prière se pose doucement. Est-ce un apôtre ? est-ce un impie ? se repent-il autant qu’il a offensé ? Ni lui, ni le peintre, ni toi qui le regardes, vous n’en savez rien ; le Sauveur sourit, et tout s’absorbe comme une goutte de rosée dans un rayon de l’immense bonté.

C’est ainsi que, devant Brigitte, j’étais muet et comme surpris sans cesse ; je tremblais qu’elle ne conservât des craintes, et que tant de changements qu’elle avait vus en moi ne la rendissent défiante. Mais au bout de quinze jours, elle avait lu clairement dans mon cœur ; elle comprit qu’en la voyant sincère, je l’étais devenu à mon tour, et comme mon amour venait de son courage, elle ne douta pas plus de l’un que de l’autre.

Notre chambre était pleine de hardes en désordre, d’albums, de crayons, de livres, de paquets, et sur tout cela, toujours étalée, la chère carte que nous aimions tant. Nous allions et venions ; je m’arrêtais à tout moment pour me jeter aux genoux de Brigitte, qui me traitait de paresseux, disant en riant qu’il lui fallait tout