Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/301

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Brigitte pour la demander, prétextant une politesse que je lui devais après toutes les visites qu’il nous avait faites ; car je n’avais pas dit un mot de ma rencontre au spectacle. Brigitte était au lit, et ses yeux fatigués montraient qu’elle avait pleuré. Lorsque j’entrai, elle me tendit la main et me dit : Que me voulez-vous ? Sa voix était triste, mais tendre. Nous échangeâmes quelques paroles amicales, et je sortis le cœur moins désolé.

Le jeune homme que j’allais voir se nommait Smith ; il demeurait à peu de distance. En frappant à sa porte, je ne sais quelle inquiétude me saisit ; je m’avançai lentement et comme frappé tout à coup d’une lumière inattendue. À son premier geste, mon sang se glaça. Il était couché, et, avec le même accent que tout à l’heure Brigitte, avec un visage aussi pâle et aussi défait, il me tendit la main en me voyant et me dit la même parole : Que me voulez-vous ?

Qu’on en pense ce qu’on voudra ; il y a de tels hasards dans la vie que la raison de l’homme ne saurait s’expliquer. Je m’assis sans pouvoir répondre, et, comme si je me fusse éveillé d’un rêve, je me répétai à moi-même la question qu’il m’adressait. Que venais-je faire, en effet, chez lui ? Comment lui dire ce qui m’amenait ? En supposant qu’il pût m’être utile de l’interroger, comment savoir s’il voudrait parler ? Il avait apporté des lettres et connaissait ceux qui les avaient écrites ; mais n’en savais-je pas aussi long que lui après ce que Brigitte venait de me montrer ? Il m’en coûtait