Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/337

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Demeuré seul avec Brigitte, je me sentis le cœur désolé. Elle m’attendait, son manteau sous le bras, et l’émotion qu’elle éprouvait était trop claire pour s’y méprendre. Elle avait trouvé la clef qu’elle cherchait, et son secrétaire était ouvert. Je retournai m’asseoir près de la cheminée.

— Écoutez, lui dis-je sans oser la regarder, j’ai été si coupable envers vous que je dois attendre et souffrir sans avoir le droit de me plaindre. Le changement qui s’est fait en vous m’a jeté dans un tel désespoir que je n’ai pu m’empêcher de vous en demander la raison ; mais aujourd’hui je ne vous la demande plus. Vous en coûte-t-il de partir ? dites-le moi ; je me résignerai.

— Partons, partons ! répondit-elle.

— Comme vous voudrez ; mais soyez franche. Quel que soit le coup que je reçoive, je ne dois pas même demander d’où il vient ; je m’y soumettrai sans murmure. Mais si je dois vous perdre jamais, ne me rendez pas l’espérance, car, Dieu le sait ! je n’y survivrais pas.

Elle se retourna précipitamment. — Parlez-moi, dit-elle, de votre amour, ne me parlez pas de votre douleur.

— Eh bien ! je t’aime plus que ma vie. Auprès de mon amour, ma douleur n’est qu’un rêve. Viens avec moi au bout du monde : ou je mourrai, ou je vivrai par toi.

En prononçant ces mots, je fis un pas vers elle, et je la vis pâlir et reculer. Elle faisait un vain effort pour