Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/376

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est là-haut qui regarde, et qui se plaît à tant d’agonies ? qui donc s’égaie et se désœuvre à ce spectacle d’une création toujours naissante et toujours moribonde ? à voir bâtir, et l’herbe pousse ; à voir planter, et la foudre tombe ; à voir marcher, et la mort crie « holà » ; à voir pleurer, et les larmes sèchent ; à voir aimer, et le visage se ride ; à voir prier, se prosterner, supplier et tendre les bras, et les moissons n’en ont pas un brin de froment de plus ! Qui est-ce donc qui a tant fait, pour le plaisir de savoir tout seul que ce qu’il a fait, ce n’est rien ? La terre se meurt ; Herschell dit que c’est de froid. Qui donc tient dans sa main cette goutte de vapeurs condensées, et la regarde s’y dessécher, comme un pêcheur un peu d’eau de mer, pour en avoir un grain de sel ? Cette grande loi d’attraction qui suspend le monde à sa place, l’use et le ronge dans un désir sans fin ; chaque planète charrie ses misères en gémissant sur son essieu ; elles s’appellent d’un bout du ciel à l’autre, et, inquiètes du repos, cherchent qui s’arrêtera la première. Dieu les retient ; elles accomplissent assidûment et éternellement leur labeur vide et inutile ; elles tournent, elles souffrent, elles brûlent, elles s’éteignent et s’allument ; elles descendent et remontent ; elles se suivent et s’évitent, elles s’enlacent comme des anneaux ; elles portent à leur surface des milliers d’êtres renouvelés sans cesse ; ces êtres s’agitent, se croisent aussi, se serrent une heure les uns contre les autres, puis tombent, et d’autres se lèvent ; là où la vie manque, elle accourt ; là où