Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/65

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religieusement, était devenue pour moi comme une courtisane ; et tandis que je croyais fuir la débauche dans un sanctuaire impénétrable, je venais de m’apercevoir que c’était la débauche elle-même que j’avais dans les bras.

Je le demande à quiconque a aimé : parmi toutes les horreurs de l’enfer, en a-t-on jamais inventé une qui puisse entrer en comparaison avec ce qui se passe dans l’âme humaine lorsqu’une pareille chose arrive ? Il me semble voir un enfant innocent que des brigands veulent égorger dans une forêt ; il se sauve, en criant, dans les bras de son père ; il s’attache à son cou, il se cache sous son manteau, il le supplie de le sauver ; et son père tire une épée flamboyante ; lui-même est un bandit, et égorge l’enfant.

Les peintres qui ont représenté la tentation de saint Antoine ont oublié de lui faire subir une épreuve à laquelle il n’eût pas résisté. Ils nous le montrent entouré de démons, de femmes nues, qui s’efforcent en vain de le faire succomber par tous les moyens possibles ; cependant le saint en prière se courbe sur son crucifix. Il ne voit rien, n’entend rien ; il n’est pas là, il prie. Mais je voudrais qu’un démon plus rusé que les autres, un démon féminin, eût la pensée de se changer en Christ et de s’insinuer dans la statue du Rédempteur. Alors, au moment où le saint, pour échapper à la tentation, se précipiterait sur l’image de Dieu et la serrerait sur son cœur, je voudrais voir que le Christ lui-même, ouvrant