Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/66

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ses bras de marbre, lui plantât sur les lèvres un baiser lascif et brûlant.

Certes, une femme ne sait ce qu’elle fait lorsqu’elle trompe un jeune homme qui n’a jamais été trompé ; elle ne sait pas où elle l’envoie, au sortir de ce lit qu’elle souille, et où, la veille encore, il a baisé sur l’oreiller cette petite place, plus chère qu’un empire, où repose la tête de la bien-aimée. Elle ne réfléchit pas à son action ; elle cède à un caprice, elle suit sa fugitive étoile ; il est impossible qu’elle raisonne : car, si elle raisonnait, si elle voyait la plaie affreuse qu’elle ouvre, et le flot de sang qui va en sortir, plutôt que d’entr’ouvrir sa porte, elle la ferait murer. Que dis-je ? si elle savait que son amour pour un enfant peut faire éclore de pareils fruits, non seulement elle n’oserait le tromper, elle n’oserait pas même l’aimer ; elle aurait pitié par avance des maux qu’elle pourrait lui faire ; elle lui dirait comme Rosalinde : Je vous en prie, ne prenez pas d’amour pour moi ; je suis plus fausse que les serments faits dans l’ivresse.]

Comme je traversais une allée, [plongé dans toutes ces pensées,] je m’entendis appeler par mon nom. Je me retournai, et vis, dans une voiture découverte, une des amies intimes de ma maîtresse. Elle cria d’arrêter, et, me tendant la main d’un air amical, me demanda, si je n’avais rien à faire, de venir dîner avec elle.

Cette femme, qui s’appelait madame Levasseur, était petite, grasse et très blonde ; elle m’avait toujours déplu,