Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/68

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à Paris, elle me prit la main. — Eh bien ? dit-elle. — Eh bien ! répondis-je en sanglotant, dites-le-lui, madame, si vous voulez. Et je versai un torrent de larmes.

Mais lorsqu’après dîner nous fûmes au coin du feu :

— Mais enfin, dit-elle, toute cette affaire est-elle irrévocable ? n’y a-t-il plus aucun moyen ?

— Hélas ! madame, lui répondis-je, il n’y a rien d’irrévocable que la douleur qui me tuera. Mon histoire n’est pas longue à dire : je ne puis ni l’aimer, ni en aimer une autre, ni me passer d’aimer.

Elle se renversa sur sa chaise à ces paroles, et je vis sur son visage les marques de sa compassion. Longtemps elle parut réfléchir et se reporter sur elle-même, comme sentant dans son cœur un écho. Ses yeux se voilèrent, et elle restait enfermée comme dans un souvenir. Elle me tendit la main, je m’approchai d’elle. — Et moi, murmura-t-elle, et moi aussi ! voilà ce que j’ai connu en temps et lieu. Une vive émotion l’arrêta.

De toutes les sœurs de l’amour, l’une des plus belles est la pitié. Je tenais la main de madame Levasseur ; elle était presque dans mes bras ; elle commença à me dire tout ce qu’elle put imaginer en faveur de ma maîtresse, pour me plaindre autant que pour l’excuser. Ma tristesse s’en accrut ; que répondre ? Elle en vint à parler d’elle-même.

Il n’y avait pas longtemps, me dit-elle, qu’un homme qu’elle aimait l’avait quittée. Elle avait fait de grands sacrifices ; sa fortune était compromise, aussi bien que