Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/21

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— Nous verrons cela, répondit Croisilles, tout en se hâtant de prendre le chemin de sa rue. Il lui tardait de revoir le toit paternel ; mais, lorsqu’il y fut arrivé, un si triste spectacle s’offrit à lui, qu’il eut à peine le courage d’entrer. La boutique en désordre, les chambres désertes, l’alcôve de son père vide, tout présentait à ses regards la nudité de la misère. Il ne restait pas une chaise ; tous les tiroirs avaient été fouillés, le comptoir brisé, la caisse emportée ; rien n’avait échappé aux recherches avides des créanciers et de la justice, qui, après avoir pillé la maison, étaient partis, laissant les portes ouvertes, comme pour témoigner aux passants que leur besogne était accomplie.

— Voilà donc, s’écria Croisilles, voilà donc ce qui reste de trente ans de travail et de la plus honnête existence, faute d’avoir eu à temps, au jour fixe, de quoi faire honneur à une signature imprudemment engagée !

Pendant que le jeune homme se promenait de long en large, livré aux plus tristes pensées, Jean paraissait fort embarrassé. Il supposait que son maître était sans argent, et qu’il pouvait même n’avoir pas dîné. Il cherchait donc quelque moyen pour le questionner là-dessus, et pour lui offrir, en cas de besoin, une part de ses économies. Après s’être mis l’esprit à la torture pendant un quart d’heure pour imaginer un biais convenable, il ne trouva rien de mieux que de s’approcher de Croisilles, et de lui demander d’une voix attendrie :