Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/114

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fermées, le silence, quelques rares passants effarés, courant chercher des secours, tout rappelait la présence du fléau, et chaque matin le chiffre des morts allait croissant. On sait qu’au printemps de 1832, ce chiffre s’éleva jusqu’à quinze cents victimes par jour. D’immenses voitures de déménagements recueillaient à chaque porte une ou plusieurs bières, quelquefois à moitié clouées. Quand le mort n’était pas prêt, les agents, accablés d’ouvrage, criaient qu’on les faisait attendre et se querellaient avec les parents et les servantes. Depuis la peste noire et le règne de Charles V, on n’avait rien vu de semblable à Paris.

Notre père souffrait alors d’une attaque de goutte. Le 7 avril, le médecin, en l’interrogeant, parut changer de visage. Le nom du fléau ne fut point prononcé ; mais les prescriptions ordonnées en disaient assez. À neuf heures du soir, la maladie asiatique se déclarait avec une violence foudroyante. À six heures du matin, tout était fini. Nous restâmes d’abord consternés, sans mesurer toutes les conséquences d’un si grand malheur. Bien souvent j’ai vu mon frère pleurer pour des chagrins de cœur ; mais, dans cette occasion, son chagrin, plus profond et plus calme, restait muet. « C’était, comme il le disait, une de ces douleurs sans larmes qui ne deviennent jamais douces, et dont le souvenir conserve toujours son amertume et son horreur, car la mort nous frappe autre part que l’amour. »