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de lui. Au lieu de changer de ton, il se retira furieux ; de là une rancune qui ne s’éteignit jamais.

Le salon d’où Gustave Planche s’était exilé volontairement ne perdit rien à sa retraite. La conversation ne s’y endormait pas. Il y régnait une gaieté folle. Jamais je ne vis de compagnie si heureuse, si peu occupée du reste du monde. On passait le temps à causer, à dessiner, à faire de la musique. On se déguisait à certains jours, pour le plaisir de jouer des rôles. On inventait toutes sortes de divertissements en petit comité, non par crainte de l’ennui, mais, au contraire, par excès de contentement. Un jour on se mit en tête de donner un dîner esthétique, voire philosophique et politique. Les invités étaient quelques rédacteurs de la Revue, entre autres Lerminier, le professeur philosophe. Afin de pouvoir lui offrir un partner digne de lui, on engagea Débureau, l’incomparable Pierrot des Funambules. Débureau, dont la figure n’était connue qu’enfarinée et vêtue de blanc, mit pour ce jour-là un habit noir, un jabot à larges tuyaux, une cravate fort empesée, des escarpins et des gants glacés. Il fut chargé de représenter un membre distingué de la Chambre des communes d’Angleterre, traversant la France pour se rendre en Autriche avec des instructions extrêmement secrètes de lord Grey. Les têtes s’échauffant, Alfred voulut avoir un rôle. Il adopta celui d’une jeune servante supplémentaire, fraîchement débar-