Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/149

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tet lui demanda devant moi quel serait le fruit de son silence, et voici sa réponse :


— « Depuis un an, j’ai relu tout ce que j’avais lu, rappris tout ce que je croyais savoir ; je suis retourné dans le monde et je me suis mêlé à quelques-uns de vos plaisirs pour revoir tout ce que j’avais vu ; j’ai fait les efforts les plus vrais, les plus difficiles pour chasser le souvenir qui m’aveuglait encore et rompre l’habitude qui voulait souvent revenir. Après avoir consulté la douleur jusqu’au point où elle ne peut plus répondre, après avoir bu et goûté mes larmes, tantôt seul, tantôt avec vous, mes amis, qui croyez en moi, j’ai fini par me sentir plus fort qu’elle et par me dégager de tout mon passé. Aujourd’hui, j’ai cloué de mes propres mains, dans la bière, ma première jeunesse, ma paresse et ma vanité. Je crois sentir enfin que ma pensée, comme une plante qui a été longtemps arrosée, a puisé dans la terre assez de sucs pour croître au soleil. Il me semble que je vais bientôt parler et que j’ai quelque chose dans l’âme qui demande à sortir[1]. »


Ce qui demandait à sortir, c’était la Nuit de mai. Un soir de printemps, en revenant d’une promenade à pied, Alfred me récita les deux premiers couplets du dialogue entre la Muse et le Poète, qu’il venait de composer sous les marronniers des Tuileries. Il travailla sans interruption jusqu’au matin. Lorsqu’il parut à déjeuner, je ne remarquai sur son visage aucun signe de fatigue. Il avait, comme Fantasio, le mois de mai sur les joues. La Muse le possédait ! Pen-

  1. Ces lignes se retrouvèrent plus tard dans le Poète déchu, à peu près dans les mêmes termes.