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songé depuis vingt ans, lui revint à l’esprit. L’imagination du poète créa le reste, car il n’y avait encore, dans tout cela, que le paysage. La fable fut bientôt inventée, et, le 1er octobre, la Revue publia l’historiette de Margot.

C’était le moment où se révélait un de ces génies puissants qui dominent la mode. Une enfant de dix-sept ans venait de ressusciter la tragédie qu’on croyait ensevelie pour l’éternité dans le linceul de Talma. Il semblait que cette jeune fille eût découvert tout à coup le sens véritable de vers que tout le monde savait par cœur. Le succès ne manque jamais à un grand artiste lorsqu’il tente de rajeunir, par une interprétation nouvelle, des chefs-d’œuvre consacrés, et même vieillis. Le goût public revient toujours volontiers de cent cinquante ans en arrière, ce qui ne l’empêche pas de continuer le lendemain sa marche en avant. Mademoiselle Rachel n’eut besoin que d’ouvrir les volumes de Corneille et de Racine, et presque aussitôt sa fortune fut décidée. Après s’être fait entendre trois ou quatre fois dans le désert où prêchaient les fidèles gardiens de la tradition, elle eut, un soir, quelques auditeurs attentifs. De proche en proche, on se donna le mot. Les journaux, craignant d’arriver les derniers, s’empressèrent de signaler l’astre nouveau. Tout Paris accourut avec une curiosité qui se changea bien vite en enthousiasme, et l’on convint que la tragédie était encore