Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/229

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grossier instrument sans cordes dont abuse le premier venu. C’est mon métier de parler en prose, et de raconter en style de feuilleton, entre un grabat et une poignée de fagots, une profonde, une inexprimable douleur. Il me plaît même qu’il en soit ainsi ; j’aime à revêtir d’un haillon le triste roman qui fut mon histoire, à jeter dans le coin d’une masure le tronçon d’épée brisé dans mon cœur.

« Ne croyez pas que mes maux soient d’une espèce bien relevée ; ce ne sont point ceux d’un héros. On n’y trouverait seulement pas le sujet d’un roman ou d’un mélodrame. Vous écoutez le vent qui souffle sous cette porte et la pluie qui bat sur ces vitres ; écoutez-moi de même et pas davantage. J’ai été poète, peintre et musicien ; mes misères sont celles d’un artiste, et mes malheurs sont ceux d’un homme. Lisez-les comme votre journal. »


À la suite de cette première page venait l’histoire d’un jeune homme heureusement doué, enfant gâté d’une famille aisée, faisant des vers, de la peinture, de la musique pour son plaisir et avec succès. Ce récit était composé de quelques impressions de l’enfance et de la jeunesse de l’auteur. Avant d’arriver à son chagrin présent, et pour mieux en faire ressortir la misère et la vulgarité, Alfred commençait par l’histoire de son premier chagrin et de la première blessure qu’il avait rapportée d’Italie[1]. Un revers de fortune imprévu changeait tout à coup la position du héros. Obligé de subvenir aux besoins d’une grand’mère et de quatre jeunes sœurs, il met-

  1. On en a lu des extraits pages 136 et suivantes, 144, 146 et 147.