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Il commençait à s’apercevoir, en effet, qu’au moment de leur apparition ses poésies les plus remarquables semblaient tomber dans le vide. Depuis que son génie avait pris un vol plus élevé, depuis que ses vers étaient à la portée de tout le monde, puisqu’il ne fallait que du cœur pour en sentir les beautés, la presse semblait feindre de n’en avoir pas connaissance, et, lorsqu’elle prononçait par hasard le nom de l’auteur, c’était pour citer, avec une légèreté blessante, le poète des Contes d’Espagne ou de l’Andalouse, comme si, depuis 1830, il n’eût pas fait un pas.

Longtemps Alfred de Musset refusa de croire à cette conspiration du silence, qui n’échappait au regard de personne. Il avait trop de bienveillance pour en admettre facilement la pensée, trop de grandeur dans le caractère pour voir des petitesses, trop de dignité pour faire jamais une seule de ces démarches qui passent pour indispensables au succès d’un ouvrage. À la fin, cependant, quand la vérité lui creva les yeux, il fallut bien la reconnaître. En plusieurs occasions, il sentit le mauvais vouloir des distributeurs de réputation. Ce déni de justice l’affligea ; mais il était trop fier pour laisser voir son chagrin. Parfois, sa modestie se tournait en dénigrement de lui-même ; il se jugeait avec une rigueur incroyable, en faisant l’oraison funèbre de la poésie et des arts. Dans ces moments de découragement, il fallait abonder dans le même sens que lui, pousser les choses aussi loin