Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/301

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quelquefois l’honneur de faire la partie de Labourdonnays et des membres les plus distingués du cercle des Échecs. Rien ne ressemble moins à de la paresse que cette étude ardue comme celle d’une science abstraite. Mais la lecture et le jeu des échecs laissaient encore beaucoup de place à l’ennui. Souvent Alfred se plaignait que la vie était longue et que ce diable de temps ne marchait pas. Il n’allait plus dans le monde et négligeait ses connaissances les plus aimables. Sa marraine elle-même ne le voyait qu’à de longs intervalles.

Quand il lui prenait une envie de se distraire et de rompre ses habitudes, il passait d’un extrême à l’autre. Il allait dix fois de suite au Théâtre-Italien, à l’Opéra ou à l’Opéra-Comique ; et puis il rentrait un soir rassasié de musique pour longtemps. Quand il s’embarquait dans quelque partie de plaisir, c’était avec le même emportement. Tout cela était excessif et souvent nuisible à sa santé ; mais, jusqu’à son dernier jour, il ne voulut jamais s’astreindre ni à un régime modéré ni à une précaution quelconque. Un confrère en littérature, qui l’avait rencontré dans un de ses moments d’intempérance, m’aborda un matin dans la rue, et, sans dire mot de la rencontre, me parla du silence du poète avec une douleur hypocrite à travers laquelle je démêlai les éclairs d’une joie qui avait de la peine à se contenir. La jalousie était bouffonne dans un écrivain si infime. Je rassurai ce bon