Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/316

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niers ouvrages, il convient de remonter de quelques années en arrière, et de rapporter ici un de ces petits incidents que son imagination de poète se plaisait à considérer comme des ordres du Destin.

Un jour, en avril 1846, Rachel l’avait invité à dîner chez elle. Les autres convives étaient des hommes de la meilleure compagnie, et tous fort riches. Pendant le dîner, le voisin de gauche de la maîtresse du logis remarque une très belle bague qu’elle porte à son doigt. On admire cette bague ; on se récrie sur le talent de l’orfèvre, et chacun à son tour fait l’éloge du précieux joyau. « Messieurs, dit Rachel, puisque cet objet d’art a l’honneur de vous plaire, je le mets à l’enchère ; combien m’en donnez-vous ? »

Un des convives offre cinq cents francs, un autre mille, un troisième quinze cents. En un moment, la bague est poussée jusqu’à trois mille francs. « Et vous, mon poète, dit Rachel, est-ce que vous ne mettez pas à l’enchère ? Voyons, que me donnez-vous ?

— Je vous donne mon cœur, répond Alfred.

— La bague est à vous ! »

En effet, avec une impétuosité d’enfant, Rachel ôte la bague de son doigt et la jette dans l’assiette du poète. En sortant de table, Alfred pensant que la plaisanterie a duré assez longtemps, veut rendre la bague. Rachel se défend de la reprendre. « Par Jupiter ! dit-elle, ceci n’est pas un badinage. Vous m’avez donné votre cœur, et je ne vous le rendrais pas pour