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mais il ne poussa pas l’imprudence aussi loin que lord Byron. Pour juger de sa sensibilité, il ne faut qu’ouvrir le livre de ses poésies. On peut voir, par le sonnet à M. Régnier, comment son esprit recevait l’impulsion de son cœur. Il passe, un soir, sous le vestibule du Théâtre-Français. Une bande collée sur l’affiche annonce un changement au spectacle : M. Régnier avait perdu sa fille le jour même. À peine si Alfred connaissait cet excellent comédien dont il admirait beaucoup le talent. Cette mort d’un enfant qu’il n’a jamais vu, la douleur de ce pauvre père, le frappent et l’attristent. Bien d’autres que lui passèrent sous ce vestibule, et quelques-uns sans doute ressentirent le même serrement de cœur. Lui seul ne peut pas surmonter cette impression de tristesse. Il faut que son âme se soulage, et qu’il envoie au père désolé un témoignage de commisération et de sympathie. De là, le beau sonnet à M. Régnier. Rien ne fait mieux connaître ce que c’est qu’une organisation de poète par excellence.

Peu d’hommes ont été aussi accessibles que l’auteur de ces vers au sentiment de la pitié. Le spectacle de la souffrance, la confidence d’un chagrin l’agitaient jusqu’à en rêver la nuit. Il revenait, un soir, fort tard de ce Théâtre-Français où il allait si souvent. C’était en hiver, par le froid et la neige. Il passe, enveloppé jusqu’aux yeux dans son manteau et les mains dans ses poches, devant un vieux mendiant