Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

piration, le pauvre garçon eut affaire à la basse passion de l’envie dans ses manifestations les plus brutales et les plus cyniques, et dès son enfance il apprit que le vulgaire ne se conduit point avec les hommes supérieurs comme avec les autres hommes. Ce fut Léon Gobert qui mit fin à cette lâche oppression. Il ne venait au collège que pour la classe d’histoire. Un jour qu’il vit son ami tomber dans un de ces guets-apens, il se jeta comme un lion dans la mêlée, et distribua des horions si terribles que l’envie se trouva vaincue et la ligue dissoute à jamais.

Depuis ma séparation d’avec mon frère, je ne le voyais plus que le dimanche. Ce jour-là, nous revenions aux romans de chevalerie. Peut-être les préoccupations de la vie réelle avaient-elles ébranlé notre foi et attiédi notre enthousiasme ; nous ne mettions plus à nos fictions la même ardeur qu’autrefois. Un matin, Alfred me demanda sérieusement ce que je pensais de la magie et particulièrement de l’enchanteur Merlin. Je fus obligé d’avouer que probablement tout cela n’était que des contes inventés par des poètes et des écrivains ingénieux, que les aventures merveilleuses de Roland étaient des fables et que Merlin n’avait jamais enchanté personne.

« Quel dommage ! dit Alfred en soupirant. Mais s’il est impossible de se rendre invisible, de se transporter subitement d’un lieu dans un autre et d’avoir un génie à ses ordres, rien n’empêche de construire des