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Notre vieille tante, aussi dévote que son mari, avait fini par se consoler, comme lui, de ce grand malheur. C’était une excellente personne et une vraie figure des temps passés, connaissant peu le monde, car elle n’était sortie du château de son père que pour aller s’établir, le jour de son mariage, dans celui de Cogners, d’où elle n’avait plus bougé. Sa fille aînée, qui ne s’était point mariée, pratiquait la charité en grand ; elle avait pharmacie et cuisine pour ses pauvres, et lisait autant ses livres de médecine que son paroissien. Souvent on venait la chercher au milieu de la nuit. À toute heure, en toute saison, elle partait, son trousseau sous le bras, pour porter des secours aux malades. Ni la fatigue, ni l’altération de sa santé ne purent arrêter son zèle un seul jour. Elle mena cette vie de dévouement, dans un pays perdu, sans autre récompense que les bénédictions des bonnes gens de sa commune, jusqu’au jour où il ne lui resta plus que la force de prier le Dieu qu’elle avait si noblement servi.

Nos bons parents partageaient leurs caresses entre mon frère et moi. L’oncle avait une prédilection évidente pour Alfred ; la tante, par esprit de justice, me témoignait de la partialité. Tandis que le mari donnait à son favori les plus beaux fruits, la femme glissait dans mon assiette les meilleurs morceaux. Ce régime de Cocagne plaisait fort à des écoliers de bon appétit ; aussi lorsqu’on nous demandait où nous