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battant que la phalange venait d’acquérir. On aurait pu en augurer qu’il lui serait impossible de servir longtemps sous une bannière quelconque, et qu’il sortirait bientôt des rangs pour suivre sa fantaisie ; mais on n’y songea pas. Entre autres bonnes choses, il y avait alors cela d’excellent dans la compagnie du Cénacle, qu’on n’y connaissait pas l’envie et qu’on n’y marchandait pas les éloges aux jeunes gens. Alfred en reçut de tout le monde.

Malgré tant d’encouragements, le débutant ne voulait pas encore convenir qu’il était un poète : « Si je montais demain sur l’échafaud, disait-il à son frère, je pourrais bien me frapper le front en répétant le mot d’André Chénier : « Je sens pourtant qu’il y avait là quelque chose » ; mais on me rendrait un mauvais service en me persuadant que je suis un grand homme. Le public seul et la postérité donnent ces brevets-là. »

Pour avoir d’autres vers à réciter à ses amis, il composa successivement le Lever, l’Andalouse, Charles-Quint à Saint-Just, puis Don Paëz, les Marrons du feu, Portia. Quand vint le tour de la Ballade à la lune, on n’y vit pas le symptôme d’une révolution dans ses idées. On s’amusa fort de cette débauche d’esprit. Les parodies elles-mêmes étaient admises au Cénacle. On n’y avait d’intolérance qu’à l’égard des ouvrages classiques. On ne pouvait pas deviner que ce jeune garçon avait déjà vu le fond de toutes les doctrines sur