Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/121

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centre de la ville ; peut-être avait-elle ailleurs un autre appartement, car elle recevait quelquefois. Les amis de son amant venaient chez elle, et la chambre où nous étions n’était sans doute qu’une sorte de petite maison ; elle donnait sur le Luxembourg, dont le jardin s’étendait au loin devant mes yeux.

Comme un liège qui, plongé dans l’eau, semble inquiet sous la main qui le renferme et glisse entre les doigts pour remonter à la surface, ainsi s’agitait en moi quelque chose que je ne pouvais ni vaincre ni écarter. L’aspect des allées du Luxembourg me fit bondir le cœur, et toute autre pensée s’évanouit. Que de fois, sur ces petits tertres, faisant l’école buissonnière, je m’étais étendu sous l’ombrage, avec quelque bon livre, tout plein de folle poésie ! car, hélas ! c’étaient là les débauches de mon enfance. Je retrouvais tous ces souvenirs lointains sur les arbres dépouillés, sur les herbes flétries des parterres. Là, quand j’avais dix ans, je m’étais promené avec mon frère et mon précepteur, jetant du pain à quelques pauvres oiseaux transis ; là, assis dans un coin, j’avais regardé durant des heures danser en rond les petites filles ; j’écoutais battre mon cœur naïf aux refrains de leurs chansons enfantines ; là, rentrant du collège, j’avais traversé mille fois la même allée, perdu dans un vers de Virgile et chassant du pied un caillou. « Ô mon enfance ! vous voilà, m’écriai-je ; ô mon Dieu, vous voilà ici ! »

Je me retournai. Marco s’était endormie, la lampe s’était éteinte, la lumière du jour avait changé tout l’aspect de la chambre ; les tentures, qui m’avaient semblé d’un bleu d’azur, étaient d’une teinte verdâtre et fanée, et Marco, la belle statue, étendue dans l’alcôve, était livide comme une morte.