Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/245

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LE CHŒUR, à la fenêtre.

Frank, pourquoi tardes-tu ? — Gunther, si notre troupe
Ne fait pas, sous ce toit, peur à vos cheveux blancs,
Soyez le bienvenu pour vider une coupe.
Nous sommes assez vieux pour oublier les ans.

GUNTHER.

La pâleur de la mort est sur votre visage,
Seigneur. — D’un noir souci votre esprit occupé
Méconnaît-il ma voix ? — De quel sombre nuage
Les rêves de la nuit l’ont-ils enveloppé ?

FRANK.

Fatigué de la route et du bruit de la guerre,
Ce matin de mon camp je me suis écarté :
J’avais soif ; mon cheval marchait dans la poussière,
Et sur le bord d’un puits je me suis arrêté.
J’ai trouvé sur un banc une femme endormie,
Une pauvre laitière, une enfant de quinze ans,
Que je connais, Gunther. Sa mère est mon amie.
J’ai passé de beaux jours chez ces bons paysans.
Le cher ange dormait les lèvres demi-closes. —
(Les lèvres des enfants s’ouvrent, comme les roses,
Au souffle de la nuit.) — Ses petits bras lassés
Avaient dans son panier roulé les mains ouvertes.
D’herbes et d’églantine elles étaient couvertes.
De quel rêve enfantin ses sens étaient bercés,
Je l’ignore. On eût dit qu’en tombant sur sa couche,
Elle avait à moitié laissé quelque chanson
Qui revenait encor voltiger sur sa bouche,
Comme un oiseau léger sur la fleur d’un buisson.
Nous étions seuls. — J’ai pris ses deux mains dans les miennes,
Je me suis incliné, — sans l’éveiller pourtant. —
Ô Gunther ! J’ai posé mes lèvres sur les siennes,
Et puis je suis parti, pleurant comme un enfant.