Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/259

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Vous approchez-vous donc, comme pour vous unir ?
Oui, c’était ma pensée ; — était-ce aussi la vôtre,
Providence de Dieu, que tout allait finir ?
— Et toi, morne tombeau, tu m’ouvres ta mâchoire.
Tu ris, spectre affamé. Je n’ai pas peur de toi.
Je renierai l’amour, la fortune et la gloire ;
Mais je crois au néant, comme je crois en moi.
Le soleil le sait bien, qu’il n’est sous la lumière
Qu’une immortalité, celle de la matière.
La poussière est à Dieu ; — le reste est au hasard.
Qu’a fait le vent du nord des cendres de César ?
Une herbe, un grain de blé, mon Dieu, voilà la vie.
Mais moi, fils du hasard, moi Frank, avoir été
Un petit monde, un tout, une forme pétrie,
Une lampe où brûlait l’ardente volonté,
Et que rien, après moi, ne reste sur le sable
Où l’ombre de mon corps se promène ici-bas ?
Rien ! pas même un enfant, un être périssable !
Rien qui puisse y clouer la trace de mes pas !
Rien qui puisse crier d’une voix éternelle
À ceux qui tetteront la commune mamelle :
Moi, votre frère aîné, je m’y suis suspendu !
Je l’ai tetée aussi, la vivace marâtre ;
Elle m’a, comme à vous, livré son sein d’albâtre…
— Et pourtant, jour de Dieu, si je l’avais mordu ?
Si je l’avais mordu, le sein de la nourrice ;
Si je l’avais meurtri d’une telle façon,
Qu’elle en puisse à jamais garder la cicatrice,
Et montrer sur son cœur les dents du nourrisson ?
Qu’importe le moyen, pourvu qu’on s’en souvienne ?
Le bien a pour tombeau l’ingratitude humaine.
Le mal est plus solide : Érostrate à raison.
Empédocle a vaincu les héros de l’histoire