Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un cimetière en ordre, où tout aura sa place,
Où vous aurez sculpté, de votre main de glace,
Sur tous les monuments la même inscription ;
Vous, que ferez-vous donc, dans les sombres allées
De ce jardin muet ? — Les plantes désolées
Ne voudront plus aimer, nourrir, ni concevoir ; —
Les feuilles des forêts tomberont une à une, —
Et vous, noirs fossoyeurs, sur la bière commune
Pour ergoter encor vous viendrez vous asseoir ;
Vous vous entretiendrez de l’homme perfectible ; —
Vous galvaniserez ce cadavre insensible,
Habiles vermisseaux, quand vous l’aurez rongé ;
Vous lui commanderez de marcher sur sa tombe,
À cette ombre d’un jour, — jusqu’à ce qu’elle tombe
Comme une masse inerte, et que Dieu soit vengé.
— Ah ! vous avez voulu faire les Prométhées ;
Et vous êtes venus, les mains ensanglantées,
Refondre et repétrir l’œuvre du Créateur !
Il valait mieux que vous, ce hardi tentateur,
Lorsque ayant fait son homme, et le voyant sans âme,
Il releva la tête et demanda le feu.
Vous, votre homme était fait ! vous, vous aviez la flamme !
Et vous avez soufflé sur le souffle de Dieu.
— Le mépris, Dieu puissant, voilà donc la science !
L’éternelle sagesse est l’éternel silence ;
Et nous aurons réduit, quand tout sera compté,
Le balancier de l’âme à l’immobilité.
— Quel hideux océan est-ce donc que la vie,
Pour qu’il faille y marcher à la superficie,
Et glisser au soleil en effleurant les eaux,
Comme ce fils de Dieu qui marchait sur les flots ?
Quels monstres effrayants, quels difformes reptiles
Labourent donc les mers sous les pieds des nageurs,