Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/289

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N’est-ce pas ? C’est très bien ; vous tuerez mes valets.
Mes filles tout à l’heure ont reçu deux billets ;
Ne cherchez pas, — c’est moi qui les ai fait remettre.
Ah ! si vous compreniez ce que c’est qu’une lettre !
Une lettre d’amour lorsque l’on a quinze ans !
Quelle charmante place elle occupe long-temps !
D’abord auprès du cœur, ensuite à la ceinture.
La poche vient après, le tiroir vient enfin.
Mais comme on la promène, en traîneaux, en voiture !
Comme on la mène au bal ! que de fois en chemin
Dans le fond de la poche on la presse, on la serre !
Et comme on rit tout bas du bonhomme de père,
Qui ne voit jamais rien, de temps immémorial !
Quel travail il se fait dans ces petites têtes !
Voulez-vous, mon ami, savoir ce que vous êtes,
Vous, à l’heure qu’il est ? — Vous êtes l’idéal,
Le prince Galaor, le berger d’Arcadie ;
Vous êtes un Lara ; — j’ai signé votre nom.
Le vieux duc vous prenait pour son gendre, — mais non,
Non ! Vous tombez du ciel comme une tragédie ;
Vous rossez mes valets ; vous forcez mes verrous ;
Vous caressez le chien ; vous séduisez la fille ;
Vous faites le malheur de toute la famille,
Voilà ce que l’on veut trouver dans un époux.

Silvio.

Quelle mélancolique et déchirante idée !
Elle est juste pourtant ; — qu’elle me fait de mal !

Laërte.

Ah ! jeune homme, avez-vous aussi votre idéal ?

Silvio.

Pourquoi pas comme tous ? Leur étoile est guidée
Vers un astre inconnu qu’ils ont toujours rêvé :
Et la plupart de nous meurt sans l’avoir trouvé.