Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1887.djvu/93

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— Madame", dit Luigi s’avançant quatre pas, -
Et comme hors du lit pendait un de ses bras,
De même que l’on voit d’une coupe approchée
Se saisir ardemment une lèvre séchée,
Ainsi vous l’auriez vu sur ce bras endormi
Mettre un baiser brûlant, — puis, tremblant à demi :
"Tu ne le connais pas, ô jeune Vénitienne !
Ce poison florentin qui consume une veine,
La dévore, et ne veut qu’un mot pour arracher
D’un cœur d’homme dix ans de joie, et dessécher
Comme un marais impur ce premier bien de l’âme,
Qui fait l’amour d’un homme, et l’honneur d’une femme !
Mal sans fin, sans remède, affreux, que j’ai sucé
Dans le lait de ma mère, et qui rend insensé.
— Quel mal ? dit Portia.
                          - C’est quand on dit d’un homme
Qu’il est jaloux. Ceux-là, c’est ainsi qu’on les nomme.
— Maria ! dit l’enfant, est-ce de moi, mon Dieu !
Que vous seriez jaloux ?
                           - Moi, madame ! à quel lieu ?
Jaloux ? vous l’ai-je dit ! sur la foi de mon âme,
Aucunement ! jaloux pourquoi donc ? Non, madame,
Je ne suis pas jaloux ; allez, dormez en paix."

Comme il s’éloignait d’elle à ce discours, après
Qu’il se fut au balcon accoudé d’un air sombre
(Et le croissant déjà pâlissait avec l’ombre),