Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1887.djvu/97

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Frère, la terre est grise, et l’on y peut tomber.
Pourtant ton serviteur fidèle, hors d’haleine,
Voit de loin ton panache, et peut le suivre à peine.
Que Dieu soit avec toi, frère, si c’est l’amour
Qui t’a dans l’ombre ainsi fait devancer le jour !
L’amour sait tout franchir, et bienheureux qui laisse
La sueur de son front aux pieds de sa maîtresse !
Nulle crainte en ton cœur, nul souci du danger,
Va ! — Car ce qui t’attend là-bas, jeune étranger,
Que ce soit une main à la tienne tendue,
Que ce soit un poignard au tournant d’une rue,
Qu’importe ? — Va toujours, frère, Dieu seul est grand !

Mais, près de ce palais, pourquoi ton œil errant
Cherche-t-il donc à voir et comme à reconnaître
Ce kiosque, à la nuit close entr’ouvrant sa fenêtre ?
Tes vœux sont-ils si haut et si loin avancés ?
Jeune homme, songes-y ; ce réduit, tu le sais,
Se tient plus invisible à l’œil, que la pensée
Dans le cœur de son maître, inconnue et glacée.
Pourtant au pied du mur, sous les arbres caché,
Comme un chasseur, l’oreille au guet, tu t’es penché.
D’où partent ces accents ? et quelle voix s’élève
Entre ces barreaux, douce et faible comme un rêve ?

"Dalti, mon cher trésor, mon amour, est-ce toi ? -
Portia ! flambeau du ciel ! Portia, ta main ; c’est moi."

Rien de plus. — Et déjà sur l’échelle de soie
Une main l’attirait, palpitante de joie ;