Page:Musset - Sélection, 1895.djvu/50

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Si mon siècle se trompe, il ne m’importe guère :
Tant mieux s’il a raison, et tant pis s’il a tort ;
Pourvu qu’on dorme encore au milieu du tapage,
C’est tout ce qu’il me faut, et je ne crains pas l’âge
Où les opinions deviennent un remord.


Vous me demanderez si j’aime ma patrie.
Oui ; — j’aime fort aussi l’Espagne et la Turquie.
Je ne hais pas la Perse, et je crois les Indous
De très honnêtes gens qui boivent comme nous.
Mais je hais les cités, les pavés et les bornes,
Tout ce qui porte l’homme à se mettre en troupeau,
Pour vivre entre deux murs et quatre faces mornes ;
Le front sous un moellon, les pieds sur un tombeau.


Vous me demanderez si je suis catholique.
Oui ; — j’aime fort aussi les dieux Lath et Nésu.
Tartak et Pimpocau me semblent sans réplique ;
Que dites-vous encor de Parabavastu ?
J’aime Bidi, — Khoda me paraît un bon sire ;
Et quant à Kichatan, je n’ai rien à lui dire.
C’est un bon petit dieu que le dieu Michapous.
Mais je hais les cagots, les robins et les cuistres,
Qu’ils servent Pimpocau, Mahomet ou Vishnou.
Vous pouvez de ma part répondre à leurs ministres
Que je ne sais comment je vais je ne sais où.


Vous me demanderez si j’aime la sagesse.
Oui ; — j’aime fort aussi le tabac à fumer.
J’estime le bordeaux, surtout dans sa vieillesse ;
J’aime tous les vins francs, parce qu’ils font aimer.
Mais je hais les cafards, et la race hypocrite
Des tartufes de mœurs, comédiens insolents,
Qui mettent leurs vertus en mettant leurs gants blancs.