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CHRONIQUE DE CAERDAL IOO7

les menteurs d'habitude le soupçonnent de mentir : le monde poli aime à croire que le cynique ment.

Tout de même, Stendhal semble sec, parce qu'il n'étale jamais son émotion. Mais il est partout ému, et souvent de l'émotion la plus fine. Son émotion n'est pas d'un poète lyrique, mais d'un géomètre qui découvre et qui dessine. 11 n'a pas moins de force, que de subtile réserve. Sa défense, c'est l'esprit. Jamais l'esprit n'a mieux été le masque du cœur.

Il ne se confesse même pas. Il se parle à soi- même : il se souvient. Il raconte moins ses souve- nirs, qu'il ne se regarde. Il se met devant un inaltérable miroir, et il se cherche.

Il vit pour le bonheur. Ce n'est pas qu'il l'ait, ni peut être qu'il y croie : c'est qu'il le veut. D'ailleurs, il l'a connu. Le bonheur est d'aimer avec passion : être jeune, sans doute, et le rester ; avoir une âme ardente, prompte à toutes les intem- péries du génie : il y a du génie dans la passion.

On a vécu en passion pour quatre ou cinq formes chéries, trois rêves qu'on emporte dans la tombe. ^ Là dessus, deux ou trois femmes qu'on adorait, et qu'on n'a pas eues, les adorant d'autant plus. Et une au moins vous a trompé jusqu'à la suprême ironie du suprême ridicule : en vous

  • Correspondancey II, 137. Cf. la notice de Mérimée : "Je ne l'ai

vu qu'amoureux, ou croyant l'être ; mais il avait eu deux amours- passions, dont il n'avait jamais pu guérir. "

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