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74^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Mon Grand-père descendait d'une famille an- cienne : il avait des plats et des couverts d'argent marqués à ses armes, et un jeu de tric-trac fabu- leux, incrusté de plusieurs matières précieuses. 11 avait aussi des opinions politiques, et à cause d'elles il avait été déshérité par son père, puis emprisonné par les Commissions Mixtes, et enfin exilé par le gouvernement du Prince-Président. Et ainsi il vivait à Genève, au milieu des autres exilés. C'étaient des victimes et des vaincus ; mais c'étaient aussi les hommes d'une grande généra- tion. En bien ou en mal ils avaient fait des choses extraordinaires, dont l'Europe retentissait encore. Des gens qu'ils ne connaissaient pas s'occupaient d'eux, les admiraient et les aimaient. Les amis de mon Grand-père étaient surtout Monsieur Sue et . Monsieur Barbes. Une fois, M. Sue, en revenant de Bath, avait dû montrer son passeport à une des douanes allemandes, et le douanier lui avait dit :

— Euchéne Zue P oui ? le Chuif-Errant ! la Chouette ! le Chourineur !

Et M. Barbes, un jour qu'il était allé " voir la France " du poteau-frontière de la route de Gex, était revenu tout ému, avec une histoire qu'il lui fallait dire. Il avait rencontré un train de tombe- reaux chargés de pierre, venant du Jura. Devant lui, un des tombereaux s'était embourbé et le train restait immobilisé. Le charretier criait, les chevaux tiraient, rien ne bougeait. Enfin, s'adres-

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