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878 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

exception pour de grandes circonstances, ne permettait pas à l'accusé de garder la parole plus d'une demi-heure environ. C'est dans ce court laps qu'il fallait expliquer aux jurés une affaire parfois compliquée. Le seul moyen de faire tenir beaucoup de choses en ce peu de temps était de les disposer en un ordre rigoureux, comme dans le vaisseau phénicien dont parle Xénophon et qui tenait de cette manière un nombre incroyable d'objets. Bien entendu un avocat d'aujourd'hui gémirait sur cette loi, s'il devait la subir, comme un dramaturge romantique sur la loi des trois unités. Le plaidoyer d'un Lysias est aussi à l'aise sous la clepsydre qu'une tragédie de Racine entre les trois règles. Il semble qu'il convertisse cette nécessité extérieure de la loi en une nécessité intérieure de sa nature. Si tout a dû se dire en peu de temps, c'est que tout pouvait se dire en peu de temps.

Mais pour tout dire en peu de temps, il ne faut dire que l'essentiel, et l'essentiel, dans une plaidoirie, ce sont les faits et les raisons. Ce qui devra dès lors être sacrifié, c'est l'appel aui sentiments, c'est l'éloquence démonstrative, c'est le pain quoti- dien de l'avocat, trempé du sang de l'orphelin, des larmes de] la veuve et des sueurs du peuple. Si Lysias est pour les gens dej goût le seul maître de l'éloquence judiciaire, c'est qu'il est (avec des disciples immédiats tels qu'Isée), le plus pur, le seul pur de tout ce battage, si fastidieusement retentissant même] chez un Démosthène, un Eschine, un Cicéron ! " Il n'y a rienj de plus parfait que Lysias, dit Quintilien, si le rôle de l'orateur se borne à instruire. " Éloge qui n'est pas sans restriction chezî] ce professeur de rhétorique latine, mais qui, pris en soi, identifie^ la parole de Lysias à une perfection aussi transparente que Teau; dans la clepsydre qui la mesure. Observez que cette éloquence qui se borne à instruire, qui dédaigne tout moyen de pathétique grossier, s'adresse à un tribunal de six cents à mille jurés, gens du peuple, petits artisans. Voyez avec quelle sobriété, dans le premier discours qui ouvre les œuvres de Lysias, parle à l'intel-

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