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94^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un hôpital et qui ayant cru longtemps que l'organisme humain ne peut digérer que du pain sec et des médica- ments, a appris tout d'un coup que les pêches, les abri- cots, le raisin, ne sont pas une simple parure de la cam- pagne, mais des aliments délicieux et assimilables. Même si son geôlier ou son garde-malade ne lui permettent pas de cueillir ces beaux fruits, le monde cependant lui paraît meilleur, et la vie plus clémente. Car un désir nous paraît plus beau, nous nous appuj^ons à lui avec plus de con- fiance quand nous savons qu'en dehors de nous la réalité s'y conforme, même si pour nous il n'est pas réalisable. Et nous pensons avec plus de joie à une vie qui est capa- ble de l'assouvir, à une vie où, — à condition que nous écartions pour un instant de notre pensée le petit obstacle accidentel et particulier qui nous empêche personnelle- ment de le faire, — nous pouvons nous imaginer l'assou- vissant. Pour les belles filles qui passaient, du jour ou j'avais su que leurs joues pouvaient être embrassées, j'étais devenu curieux dç leur âme. Et l'univers m'avait paru plus intéressant.

La voiture de M™* de Villeparisis allait vite. A peine avais-je le temps de voir la fillette qui venait dans notre direction ; et pourtant — comme la beauté des êtres n'est pas comme celle des choses, et que nous sentons que c'est celle d'une créature unique, consciente et volontaire — à peine l'individualité de la fille qui s'approchait, âme vague, volonté inconnue de moi, se peignait-elle, en une petite image prodigieusement réduite, embryonnaire mais complète, au fond de mon regard distrait, aussitôt — ô mystérieuse réplique des pollens tout préparés pour les pistils — je sentais saillir en moi l'embryon aussi vague,

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