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��A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 95 1

tenaient attifées, interpellant les garçons qui passaient. Moins bien vêtue que les autres, mais semblant les dominer par quelque ascendant, — car elle répondait à peine à ce qu'elles lui disaient, — l'air plus grave et plus volontaire, il y en avait une grande qui assise à-demi sur le rebord du pont, laissant pendre ses jambes, avait devant elle un petit pot plein de poissons qu'elle venait sans doute de pêcher. Elle avait un teint bruni, des yeux doux mais un regard dédaigneux de ce qui l'entourait, un nez surtout d'une forme petite, fine et charmante. Mes regards se posaient sur sa peau et mes lèvres à la rigueur pouvaient croire qu'elles avaient suivi mes regards. Mais ce n'est pas seulement son corps que j'aurais voulu atteindre, c'était aussi la personne qui vivait en lui, et avec laquelle il n'est qu'une sorte d'attouche- ment qui est de frapper son attention, qu'une sorte de pénétration, y éveiller une idée.

Et cette personne intérieure de la belle pêcheuse, semblait m'être close encore, je doutais si j'y étais entré, même après que j'eus aperçu ma propre image se refléter furtivement dans le miroir de son regard suivant un indice de réfraction qui m'était aussi inconnu que si je me fusse placé dans le champ visuel d'une biche. Mais de même qu'il ne m'eût pas suffi que mes lèvres prissent du plaisir sur les siennes mais leur en donnassent, de même j'aurais voulu que l'idée de moi qui était en elle, qui s'y accrocherait, n'amenât pas à moi seulement son attention, mais son admiration, son désir, et me gardât son souvenir jusqu'au jour où je pourrais la retrouver. Cependant, j'apercevais à quelques pas la place où devait m'attendre la voiture de M™^ de Villeparisis. Je n'avais

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