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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 97

quoique persuadé qu'il avait fait pour elle tout ce qui était possible, dans un moment comme celui-ci où elle était méchante avec lui, il éprouvait le besoin de lui demander, de la supplier de lui écrire ce qu'elle pouvait avoir à lui reprocher et si en effet elle finissait par for- muler un reproche, immédiatement, il se mettait durant de longues pages à y répondre, à le réfuter. Pourtant bientôt, il cessa d'écrire à sa maîtresse, car il ne voulut pas transiger sur certains points et crut devoir soit sin- cèrement, soit par feinte accepter une rupture. Peut-être le tourment de quitter sa maîtresse pouvait lui sembler moindre que celui de rester avec elle dans certaines conditions. Et même s'il lui était plus cruel, peut-être jugeait-il cette inflexibilité nécessaire à maintenir ce qu'il croyait qu'elle avait encore pour lui de respect et d'amour. L'idée qu'il était brouillé avec sa maîtresse s'échappait à tout moment du cerveau de Saint-Loup en tourbillons épais, mon ami s'habituait à cette atmosphère oppressante, il aurait peut-être fini par y vivre. Mais parfois il avait à l'état de veille de ces courts répits comme le sommeil en donne. Puis tout d'un coup Robert apercevait de nouveau en lui, il venait toucher comme pour la première fois, cette idée qu'il était brouillé avec sa maîtresse. Il lui semblait découvrir cette idée, il la trouvait nouvelle ; les trois semaines pendant lesquelles il l'avait connue ne pouvaient être en effet qu'un rêve car elle était trop cruelle et trop en contradiction avec le souvenir des années passées pour qu'il eût réussi déjà pendant trois semaines à en supporter la souffrance et à en admettre la possibi- lité. Pourtant cette idée restait bien en lui à la même place, il s'éloignait d'elle, y revenait, étouffait en lui-

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