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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU IO7

derrière la petite barrière blanche, pour les chauds après- midi de printemps, et, pour moi, cette ravissante tapisserie provinciale n'appartenait pas seulement au monde que nous observons froidement avec nos yeux. Elle en faisait commencer un autre dont nous sentons que la vision, — seule chose ici-bas qui nous enrichit, nous donne le sentiment de la plénitude intérieure et de la joie, — s'étend aussi dans notre cœur.

Je revins auprès des poiriers. Saint-Loup n'était pas encore là. Tout à l'heure devant les lilas j'avais pensé à Combray et dans ce jardin-ci c'était bien aussi les fleurs de Combray, — les fleurs qui avaient fait rêver mon enfance de tels enchantements que je ne croyais plus que, dans ce monde médiocre, elles réellement existassent, c'était bien ces fleurs-là — de poiriers, de cerisiers, que je voyais attachées aux arbres au dessus de l'ombre propice à la sieste, à la lecture, à la pêche.

Tout à coup Robert parut, accompagné de sa maîtresse, et alors, dans cette femme qui était pour lui tout l'amour, toutes les douceurs possibles de la vie, dont la personnalité plus mystérieusement enfermée dans un corps humain que le Saint des Saints dans le Tabernacle était l'objet inconnu sur lequel l'imagination de mon ami travaillait sans cesse avec le désespoir de l'appréhender jamais, en soi-même, derrière le voile des regards et de la chair, — dans cette femme je reconnus à l'instant celle que, dans la maison de passe où je n'avais jamais voulu d'elle, j'avais surnom- mée " Rachel quand du Seigneur " et qui disait à la maquerelle :

— Alors, demain soir, si vous avez besoin de moi pour quelqu'un, vous me ferez chercher.

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