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156 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Nous ne devons pas nous attendre à partir avec elle. Elle est immobile et refuse de nous porter. Elle manque complètement de pente, de vitesse, de branle. Rien n'y est disposé pour permettre le passage. Entre deux objets différents, même s'ils sont à côté l'un de l'autre, pourquoi, demande Stravinsky, vouloir créer un lien factice ? Cela n'aurait de sens que si je voulais toucher mon auditeur, ménager son émotion, en garder un peu pour la suite, utiliser le trop-plein de son âme, en un mot l'entretenir dans un état sentimental où je l'eusse d'abord placé. Mais mon dessein est tout contraire. Je laisserai donc chaque chose où elle est ; je la ferai paraître à son tour, et en son lieu, sans la faire entrer dans aucun ensemble, sans la rattacher ni à ce qui précède, ni à ce qui suit. Je procéderai par articles.

Et en effet la musique du Rossignol fait penser tout entière à ces lanternes du deuxième acte, si soigneusement posées à terre, les unes à côté des autres, à intervalles bien égaux, et bien exactement isolées : elle a quelque chose de " posé là ", de " suc place", de " pas plus loin que ça ". Nulle part elle ne se répand ; en tous ses points elle est comme retenue au cantonnement. L'économie y est poussé jusqu'à l'insulte. Rien de plus admi- rable à la fois et de plus exaspérant que son perpétuel minimum. Au fond, c'est le chant d'un rossignol qui s'étrangle. Sitôt que sa voix va s'élancer, le musicien lui tord un peu le cou : ses roulades sont ainsi proférées dans un état de transe, dont il est impossible que son bourreau ne se soit pas, à part lui, considé- rablement amusé. — Il me semble d'ailleurs apercevoir que les raisons pour lesquelles Stravinsky à repris le sujet du Rossignol sont exactement les raisons contraires de celles que le lui avaient fait choisir d'abord. Si nous en croyons le premier acte, qui représente la conception primitive de l'œuvre, il avait été séduit naguère par les invitations à l'épanouissement et aux arabesques mélodiques que lui proposait le personnage du rossignol. Mais lorsqu'il revient à son sujet, c'est pour refuser ces invitations, pour

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